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  • Photo du rédacteurVirginie Simona

Nos cœurs battants (numérisés)

Dernière mise à jour : 17 juin 2019

Nos façons d’aimer et de désaimer ont-elles évolué depuis que notre téléphone géolocalise nos amant(e)s potentiel(le)s ? Avec ou sans la 5G, nos corps désirants chercheront toujours à se frôler, à s'emboîter, à s’assortir. Et si le temps s’est accéléré, il semblerait qu’aux deux extrémités des pôles amoureux, s’affairent toujours aussi distinctement qu’avant, les oublieux et les obstinés. « Un de perdu, dix de retrouvés ! » : si le proverbe reste un cri salvateur pour les uns, pour les autres, il réfère surtout au recensement des fourmis sur la terrasse…

L’infini au bout des doigts


A l’heure des rencontres numériques, Tinder est une application qui profite aux gourmands, aux versatiles, aux grands évaporés du petit matin. Tinder, c’est l’infini des possibles (sexuels) au bout des doigts. Il autorise, à la moindre anicroche, à quitter l’un pour risquer la dizaine d’autres. Parfois ça marche et c’est rose comme un soleil couchant. Parfois non, et c’est gris comme l'averse sur Paris. Quant à Instagram et Facebook, ils affichent eux aussi leurs lots de miraculés du clic et de bienheureux de la rencontre : alléluia !


Que fait le numérique de l’amour et de son ravissement ? Il oblige surtout les couples à vivre à douze et non plus à deux (le smartphone incluant le monde… !). Il rend nos approches plus consommatrices, nos liens plus éphémères. Mais la quête amoureuse aura beau se tordre aux exigences des algorithmes, perdre son involontaire et gagner en rationalité, l’amour restera ce qu’il est : soumis aux aimants du corps et aux équations de l’inconscient. Il continuera d’exiger des amoureux le plus difficile : prendre le risque de l'altérité et de l'extrême vulnérabilité. Partager la même serviette de bain.


Circonstances atténuantes


Facebook, faiseur de couple à midi, briseur de liens à minuit. Et à l’heure des séparations, les réseaux ont tendance à irriter les perdants au grand jeu de l’attachement (ceux poussés vers la sortie alors que leurs cœurs battaient encore). Ainsi, à chaque nouveau post de l’ex-amoureux, le fil d’actu vient exciter l’imaginaire galopant et saboter d’un clic tout le processus d’oubli. Facebook et Instagram constituent, Monsieur le Juge, des circonstances atténuantes pour ceux qui échouent à l’épreuve du deuil amoureux. Les éconduits s’y rendent chaque matin avec un formidable sourire-armure et finissent, devant les clichés pris par leur ex, par s’y tordre le ventre. Ils découvrent dans ce tourisme quotidien d’immenses banalités : la composition des assiettes de X, la couleur de ses tomates et la longueur de ses haricots verts. Que gagnent t-ils à faire défiler ce présent immédiat sans profondeur ? Une petite douleur et...la recette de la ratatouille.


Compulsion amoureuse


Drôle d’outil qui laisse à la fois totalement étranger à la vie des autres et en mesure de visiter gratuitement leurs salons. Drôle de jeu virtuel où l’on confond présence et absence, où tout se mêle, plaisir esthétique et vitrine du quartier rouge. A l’heure de la peine amoureuse, choisir de ne plus s’y rendre serait encore l’idée la plus salutaire depuis la création du système solaire. Mais voilà, les outils numériques sont des pièges pour compulsifs, ils ont tout de la chips qui se croque sans faim, tout de la cigarette qui passe le temps.


Un baume à lèvres


Instagram est une plaie pour les résistants à l’oubli (inaptes à défaire de leurs dix doigts ce que la vie a fait). En lieu et place d’accepter une fin déposée depuis des lustres, ils ont développé une bradycardie amoureuse, et ressentent des mois durant, la lenteur agaçante d’un cœur piqué par l’obsession. On leur souffle de choisir_ comme aux présidentielles _un nouveau visage à aimer, de se laisser habiter par une peau neuve. De tolérer l’arrangement, l’endormissement, le petit amour de confort. De s’inscrire fissa sur Tinder ! Mais un baume sur les lèvres a-t-il déjà suffi à faire tomber la fièvre ? Qui a le pouvoir de forcer l’amnésie qui ne vient pas ? À l’instar de la lune dont l’influence sur les hommes reste inconnue, qui pour connaître la part de bonnes résolutions dans les tourbillons de l’âme ?


Souffler sur les braises


Et à voir défiler sur les réseaux les photos de x que l'on aime encore, comment venir à bout de l’attente, à bout de l’espoir ? Sale espoir collé devant les yeux comme une goutte d’eau chaque fois renaissante sur la vitre du monde. Mais qui aiment-ils encore ces éconduits, quand c’est l’absence, qui depuis des mois, tient leurs désirs ? Que veulent-ils ces souvenirs intolérables, ces fantasmes indéfendables, qui font de l’impossible leurs meilleurs amis de névrose ? D’où vient-il cet amour fou pour durer infiniment ? De quelle galaxie, de quelle étoile qui ne voudrait pas mourir ? L’amour, quand il nous dépasse, ressemble à l’épreuve du feu. Il y a le temps fou de l’attente, la brûlure du fantasme, l’endurance terrible du rêve. Et les réseaux sociaux pour souffler sur les braises.

Déconnexion générale


Mais il faut parfois sortir de l’autoroute, se déconnecter et retrouver la vie lente. Patienter, zigzaguer sur la départementale, traverser des champs d’OGM, s’arrêter au bord d’une rivière (polluée), écouter le chant des oiseaux (dont le nombre décline) pour réussir à faire place au prochain amour. Puisque tout change au sein de l’Univers en expansion, les amours déçues se dissipent un jour, épuisées d’inassouvi ou rongées par l’érosion naturelle. Avec ou sans Facebook, nos chagrins finissent à la mer, dissous dans le sel et l’eau des fleuves, deviennent vapeur d’eau océanique, et retombent en pluie fine (et acide) sur le béton des avenues. Il en va ainsi de nos amours numériques, elles participent aux cycles des réincarnations : elles meurent sur Facebook et renaissent sur Tinder, rendons grâce à la souplesse de nos index !


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